L’Archer
06.2021
Pour la revue en ligne AOC, une nouvelle en “trois temps, ou trois histoires déclinant chacune à sa manière le motif mythologique de l’arc : manifestations étudiantes à Hong Kong, peuple Sentinelles, une scène d’enfance. L’ensemble composant une belle dramaturgie autour de ce symbole universel de force, de lumière et de droiture.” (AOC)
Lire la nouvelle ici sur AOC
Extrait :
“(...) La virgule blanche de ses Nike Epic React trace sur le bitume noir, la nuit salée du port lui racle la gorge. L’œil fiché dans la cible, il n’entend que son cœur, règle sa course sur son beat : voilà les rouages de sa machine.
Derrière lui s’éloigne la Mer de Chine, le ciel brisé des vitrines en morceaux. À pas chassés il survole le paysage cent fois vu qu’il ne reconnaît plus, il fait sien le chaos. Il saute par-dessus des briques effondrées comme des pixels rouges, enjambe les barrières pliées en coureur de haie, piétine les orchidées de soie du secrétariat et la date de remise des diplômes sur des panneaux dorés. Partout au sol, des vêtements neufs comme des pétales morts, des bouchons de plastique pour pistils.
Souple comme le guépard, il progresse, les ombres de ses muscles se dessinent à l’encre noire.
Il ne voit pas les masques à gaz en salle BC420, les sachets de nouilles déshydratées en salle BC502, les bouteilles, les tee-shirts déchirés, les bidons d’essence de la salle M110. Il traverse le gymnase, frôle quelques-uns des siens qui dorment quinze minutes seulement, baskets aux pieds et bras croisés, pharaons inquiets gainés de nylon noir.
Il gagne le hall d’accueil, des clameurs lui explosent au visage avec la peur, sa respiration s’accélère.
Derrière lui s’éloigne la Mer de Chine, le ciel brisé des vitrines en morceaux. À pas chassés il survole le paysage cent fois vu qu’il ne reconnaît plus, il fait sien le chaos. Il saute par-dessus des briques effondrées comme des pixels rouges, enjambe les barrières pliées en coureur de haie, piétine les orchidées de soie du secrétariat et la date de remise des diplômes sur des panneaux dorés. Partout au sol, des vêtements neufs comme des pétales morts, des bouchons de plastique pour pistils.
Souple comme le guépard, il progresse, les ombres de ses muscles se dessinent à l’encre noire.
Il ne voit pas les masques à gaz en salle BC420, les sachets de nouilles déshydratées en salle BC502, les bouteilles, les tee-shirts déchirés, les bidons d’essence de la salle M110. Il traverse le gymnase, frôle quelques-uns des siens qui dorment quinze minutes seulement, baskets aux pieds et bras croisés, pharaons inquiets gainés de nylon noir.
Il gagne le hall d’accueil, des clameurs lui explosent au visage avec la peur, sa respiration s’accélère.
Sous le masque, la buée gagne ses lunettes de myope, il étire son cou pour dégager la vapeur, écoute les battements de son cœur et enfonce son œil dans la cible, la machine repart. Il dévale les escaliers en flamme de la grande esplanade, glisse entre les geysers des gaz lacrymogènes.
De l’autre côté de l’autoroute, entre les gratte-ciels de bakélite, les grains du sablier déferlent. Cravates noires et chemises blanches, les six habitants au mètre carré se répandent : c’est la foule qui rejoint les étudiants, blossom everywhere. Entre elle et eux, la police fait cordon, autour des 362 milliards de dollars de Produit Intérieur Brut.
Il stoppe net devant la rambarde en surplomb de l’autoroute, arrime au sol ses deux pieds, solide. À l’intérieur de la carapace de motard, la sueur perle sur sa nuque d’adolescent.
Il brandit l’arc qu’il tenait plaqué là, 1 021 grammes le long de son flanc droit, phalanges blanchies sur aluminium rouge magenta. Derrière la flèche, ses bras s’étirent comme la queue d’une comète, il vise la nuit, le désert. La corde en fast-flight se tend, referme sur lui une accolade de fibre de verre, il retient son souffle. (...)”
De l’autre côté de l’autoroute, entre les gratte-ciels de bakélite, les grains du sablier déferlent. Cravates noires et chemises blanches, les six habitants au mètre carré se répandent : c’est la foule qui rejoint les étudiants, blossom everywhere. Entre elle et eux, la police fait cordon, autour des 362 milliards de dollars de Produit Intérieur Brut.
Il stoppe net devant la rambarde en surplomb de l’autoroute, arrime au sol ses deux pieds, solide. À l’intérieur de la carapace de motard, la sueur perle sur sa nuque d’adolescent.
Il brandit l’arc qu’il tenait plaqué là, 1 021 grammes le long de son flanc droit, phalanges blanchies sur aluminium rouge magenta. Derrière la flèche, ses bras s’étirent comme la queue d’une comète, il vise la nuit, le désert. La corde en fast-flight se tend, referme sur lui une accolade de fibre de verre, il retient son souffle. (...)”